Témoignage du Provincial des Pères Blancs

Témoignage du Provincial des Pères Blancs à l’occasion du 60e anniversaire de sacerdoce de Mgr A. Perraudin

La vérité sur Mgr Perraudin, ancien archevêque de Kabgayi au Rwanda

Le dimanche de Pâques 4 avril, Mgr André Perraudin célébrait par une messe solennelle le soixantième anniversaire de son ordination sacerdotale, dans l’église paroissiale de Bagnes. Une dizaine d’extrémistes tutsi vinrent troubler la cérémonie et profitèrent de l’occasion pour formuler à l’encontre de l’évêque un certain nombre d’accusations fort graves dont la TV de Suisse Romande ainsi que plusieurs journaux se firent l’écho, propageant ainsi à travers toute la Suisse francophone d’énormes calomnies. Dans ce bref article nous aimerions rétablir la vérité.

1er reproche : Le choix de la date est-il une provocation ?

“Nous sommes choqués que Mgr Perraudin ait choisi l’époque de Pâques pour fêter ses soixante ans de sacerdoce, cinq ans presque jour pour jour après le début des massacres”.

L’archevêque et le curé de Bagnes ont choisi cette fête pour sa qualité liturgique, parce qu’elle convenait mieux à la paroisse et se situait dans la proximité de l’anniversaire d’ordination. Il n’y avait aucune intention de faire allusion à la commémoration des massacres commis au Rwanda.

2ème reproche : La participation de Mgr Perraudin au génocide perpétré au Rwanda en 1994.

C’est la calomnie la plus grave, mise en pleine lumière par le titre de l’article du journal “L’Objectif”: “Du sacerdoce au génocide”. Elle est tristement illustrée par des calicots reproduits par la TV romande, soulignée par l’explication d’un journal qui écrit : “Les Rwandais de Suisse décernent le Prix … du sang à Mgr Perraudin”. Pareille aberration n’est pas soutenable. Que des fanatiques excités se permettent de tels propos, cela peut se concevoir, mais comment admettre que les mass-media d’un pays qui se veut respectueux des personnes propagent dans la population de telles calomnies contre un prélat qui a consacré toute sa vie à prêcher l’Evangile et à promouvoir le progrès humain. Une enquête impartiale aurait permis de mieux connaître la vérité. Pourquoi n’a-t-on pas interrogé d’autres Rwandais représentant l’immense majorité des gens de ce pays. L’un d’eux, M. Gasana, le 9 avril, envoyait à l’évêque ce message : “Monseigneur, j’ai le plaisir de vous écrire cette lettre de soutien au nom des représentants des communautés des Eglises protestantes rwandaises exilés qui, comme tous les Rwandais qui vous ont connu ne peuvent oublier la grandeur et la qualité de l’oeuvre apostolique que vous avez accomplie au Rwanda”. Ajoutons qu’au moment du génocide Mgr Perraudin avait déjà démissionné depuis cinq ans et qu’il se trouvait en Suisse.

3ème reproche : La lettre pastorale du 11 février 1959.

Mais, objectera-t-on, si Mgr Perraudin était absent du Rwanda en 1994, l’hécatombe des Tutsi est imputable à son enseignement, en particulier à sa fameuse lettre pastorale du 11 février 1959 Pour juger le contenu de cette lettre, il faudrait d’abord la lire. Ceux qui le désirent pourront se procurer le texte intégral en écrivant au Pères Blancs, 3968 Veyras. Ils en trouveront aussi les passages essentiels dans la brochure éditée à l’occasion du 60e anniversaire de l’ordination sacerdotale de l’archevêque. Cette lettre pastorale expose les devoirs des responsables des Etats vis-à-vis du peuple dont ils sont en charge. C’est la doctrine actuelle de l’Eglise à ce sujet. Elle n’est pas particulière à Mgr Perraudin. L’évêque tutsi de Nyundo l’a lue et recommandée à ses diocésains. Le nonce apostolique au Rwanda, Mgr Bruniera, en a félicité l’auteur. Cet exposé dépasse les frontières de l’Eglise et pourrait être signé par n’importe quel homme public soucieux de justice et d’équité. Voici ce qu’en écrit M. Gasana: “Face aux aspirations des peuples opprimés par la colonisation et d’autres systèmes injustes, tels qu’exprimés à la Conférence afro-asiatique de Bandung d’avril 1955, qui condamna le colonialisme, l’Eglise se devait d’affirmer sa position en faveur de la dignité humaine et de la démocratie, pilier d’une vraie indépendance.

Dans le contexte rwandais vous avez rappelé aux chrétiens les exigences de la loi divine en ces termes: “Dans notre Rwanda, les différences et les inégalités sociales sont, pour une grande part, liées aux différences de races, en ce sens que les richesses d’une part et le pouvoir politique et judiciaire d’autre part sont en réalité en proportion considérable entre les mains d’une même race”. A cette époque, en effet, les 42 grands chefs étaient tous des Tutsi et sur plus de 500 sous-chefs une dizaine à peine étaient Hutu. Les termes Tutsi et Hutu n’ont pas été inventés par Mgr Perraudin. Ils sont employés par les instances officielles. Sur les relations Hutu-Tutsi à cette époque écoutons encore M. Gasana. Il se réfère à une réunion du Conseil Supérieur du pays (Rwanda-Urundi) du 17 mai 1958. Un grand chef tutsi faisait cette remarque: “On peut se demander comment les Hutu réclament le partage du patrimoine commun. Ceux qui réclament le partage du patrimoine commun sont ceux qui ont entre eux des liens de fraternité. Or les relations entre nous (Tutsi) et eux (Hutu) ont été de tout temps, jusqu’à présent, basés sur le servage; il n’y a donc entre eux et nous aucun fondement de fraternité … Puisque nos rois ont conquis le pays des Hutu en tuant leurs roitelets et ont asservi les Hutu, comment ceux-ci, maintenant, peuvent-ils prétendre être nos frères?” C’est donc très logiquement que M. Gasana conclut: “Dans un tel contexte l’Eglise aurait manqué à son devoir prophétique si elle n’avait pas proclamé haut et fort l’enseignement de l’Evangile en matière de justice et de relations sociales.”

4ème reproche : La collusion de Mgr Perraudin avec l’ancien gouvernement hutu.

Ce reproche a été maintes fois formulé et il a été repris par les manifestants. Les rapports Eglise-Etat varient selon les lieux et les temps. Au Rwanda-Urundi, comme au Congo, ils étaient de fait assez étroits. En effet, le Gouvernement belge avait confié aux missions un rôle important dans les domaines scolaire, caritatif et médical. Ce système ne fut pas supprimé à l’indépendance mais adapté. Il avait pour objet de promouvoir au mieux les intérêts de la jeunesse et des démunis. Les relations entre Etat et Eglise étaient donc inévitables. Mais on accuse Mgr Perraudin d’être allé beaucoup plus loin et d’avoir en quelque sorte manipulé les deux présidents hutu successifs, Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana. L’archevêque valaisan eut sans doute une réelle amitié pour ces deux chefs d’Etat. Cependant ce n’est pas lui qui dicta leur politique. Ils avaient tous deux leurs ministres, un conseiller européen, des ambassadeurs; et ce n’est pas l’Eglise qui les hissa au pouvoir. Lorsque Mgr Perraudin fut nommé Vicaire Apostolique, il trouva à la tête du journal catholique Grégoire Kayibanda. Jugeant que ses activités le situaient dans un camp politique, il le licencia, tout en restant en bons termes avec lui. Kayibanda fonda son propre parti. Le colonel Guy Logiest, chef des troupes belges, puis représentant de la Belgique au Rwanda, le remarqua et décida de l’appuyer. Finalement ce fut avec plus de 80% des voix que le peuple rwandais, sous le contrôle de l’ONU, vota la destitution du roi Kigeri et la nomination de Grégoire Kayibanda comme président. Quant au président Juvénal Habyarimana, il prit le pouvoir en 1973 par un coup d’état militaire. Mgr Perraudin se trouvait à ce moment-là en congé. Il reconnut le fait accompli mais n’eut guère de rapports privilégiés avec le nouveau Président. Il comprit très tôt qu’il était préférable de céder le poste d’archevêque métropolitain à un Rwandais. Ce fut Mgr Vincent Nsengiyumva qui le remplaça à Kigali, la capitale, tandis que lui-même restait simple évêque de Kabgayi. Il n’eut plus guère avec le nouveau maître du pays que les rapports d’un évêque ordinaire parmi les autres.

5ème reproche : Mgr Perraudin, par ses appels à la haine et ses prises de position ethnistes et partisanes, a gravement pesé sur le destin du Rwanda.

Des appels à la haine? On n’en peut citer aucun. Point n’est besoin de souligner le caractère odieux de cette calomnie envers un évêque auquel, à l’occasion de son jubilé épiscopal, le Pape, après avoir loué son zèle apostolique, écrivait: “Nous ne pouvons pas ne pas mentionner la sollicitude constante qui vous pousse à venir en aide aux pauvres et aux nécessiteux.” N’insistons pas. Parlons des positions ethnistes et partisanes de l’archevêque. Nous en avons déjà dit un mot à propos de sa lettre pastorale du 11 février 1959. . Néanmoins, notons encore ce passage qui caractérise bien la pensée de l’archevêque sur ce point: “Toutes les races sont également respectables et aimables devant Dieu. Chaque race a ses qualités et ses défauts. Personne d’ailleurs ne peut choisir de naître dans un groupe plutôt que dans un autre. Il est injuste par conséquent et contraire à la charité de faire grief à quelqu’un d’appartenir à telle ou telle race et surtout de le mépriser à cause de sa race. La solution, même purement naturelle, est que des gens appartenant à des races différentes s’entendent et s’harmonisent, surtout si par le jeu de l’histoire ils habitent côte à côte sur le même territoire.” On prétend également que dans les écrits de l’archevêque on ne trouve pas de “désapprobation publique des persécutions”. On fait erreur. Les textes abondent.

N’en citons que deux, celui du 14 mars 1960 et celui du 10 mars 1994. Il est dit dans le premier: “Des troubles, des pillages, des déprédations et même des meurtres viennent de se produire à nouveau en diverses régions du Rwanda. Nous en éprouvons une profonde douleur à cause de l’offense faite à Dieu et des souffrances infligées à nos enfants. Tous ces agissements insensés ainsi que toutes les manœuvres qui les auraient provoquées nous le condamnons vigoureusement au nom de l’Eglise qui aime d’un grand amour tous les hommes, à quelque race qu’ils appartiennent et qui leur prescrit de résoudre les problèmes sociaux dans la justice et la compréhension mutuelle et non pas par des moyens criminels.” Même son de cloche dans le message du 10 mars 1994 transmis sur les ondes de Radio-France Internationale aux Rwandais: “Je suis consterné et je souffre horriblement avec vous de tous les immenses malheurs qui fondent sur notre cher Rwanda: la guerre, la fuite de milliers et milliers de personnes vers les pays voisins, les innombrables morts dans des circonstances atroces. La très grande majorité d’entre vous ne souhaite que la paix, la concorde, la convivialité, comme cela a été durant de longues années. Mettez-vous ensemble, dialoguez, cherchez et trouvez les moyens d’arrêter définitivement les combats et de construire un Rwanda nouveau où tous ses enfants vivent en frères malgré les différences d’ethnies, de régions, de partis politiques. Les différences sont inévitables, mais, en démocratie, elles sont complémentaires et enrichissantes.”

Conclusion

Nous avons essayé de répondre à des reproches récemment formulés contre Mgr Perraudin. Nous espérons avoir contribué à éclairer les lecteurs de bonne volonté. Mais c’est tout l’ensemble de son activité qu’il faudrait pouvoir saisir et apprécier. Dans ce but cédons la parole à quelqu’un qui l’a bien connu et est bien renseigné sur ses faits et gestes, le Pape Jean-Paul II. S’adressant à la foule dans la cathédrale de Kabgayi, le 8 septembre 1990, il déclarait : “Avant de terminer ce bref discours, je voudrais exprimer ma grande joie de trouver dans cette cathédrale l’évêque qui pendant si longtemps comme missionnaire a été votre pasteur, Monseigneur Perraudin. Je l’ai rencontré plusieurs fois. Il reste pour moi un symbole d’évêque missionnaire. Que Dieu bénisse Monseigneur Perraudin, archevêque de Kabgayi. Il est tellement lié de tout son cœur, de toute son âme avec ce pays, avec cette Eglise, avec ce lieu, avec cette cathédrale”.

Fribourg, le 20 avril 1999

Josef Buholzer,

Provincial des Pères Blancs de Suisse